Arrivée en terre hostile

« Une nation qui oublie son passé n'a aucun avenir »

Ces mots, prononcés par un certain Winston Churchill, ne peuvent pas être plus appropriés pour décrire la raison de cette série d'interventions impromptue.

Conrad s'en va-t-en guerre, ne sait quand reviendra (air connu).

Nous sommes le 28 juillet non pas 2014 mais 1944, soit il y a 70 ans jour pour jour. Le Caporal Conrad Simard du régiment de Hull, fraîchement débarqué en Angleterre, vient d'avoir son transfert pour le régiment de La Chaudière, et se prépare, tout comme une centaine de ses frères d'armes,  à rejoindre son nouveau régiment outre-mer en France, via la Manche. Depuis le 21 mars 1941, jour de son enrôlement, il fait partie des Forces Armées Canadiennes et s'entraine et se prépare pour prendre part à ce conflit mondial qui perdure depuis 1939, en fait depuis trop longtemps. On vient de lui remettre son billet pour l'enfer et à 24 ans, bientôt 25 le mois prochain, il n'a pas idée de ce qu'est l'enfer. Son "Training" des plus adaptés aux conditions guerrières, des plus spécifiques pour le combat, ne peut vraisemblablement pas simuler la réalité du combat dans les tranchées, les batailles au front, les bombardements venant de tous bords, tous côtés. Muni de sa compagne de tous les jours depuis plus de 2 ans, sa fnc1 et ses tonnes de munitions, de son uniforme de combat, casque et bottes, de son pack sac contenant ses victuailles quotidiennes (les fameuses "ration pack"), sa couchette genre "sleeping bag" mais sans le moletonné, sans oublier des provisions de cigarettes canadiennes, tout ce gréement ne devant pas dépasser  les 40 livres règlementaires, il sort de l'approvisionnement encore plus écrasé sous ce poids qui deviendra sous peu pour lui, une deuxième peau, répartis tout le long de son corps de 5'8" et 145 lbs.  Ne lui reste plus qu'à retourner à sa baraque et emmagasiner de l'énergie pour les prochains jours, ces prochains jours qui seront des plus déterminants pour sa survie de tous les jours.  Son énergie ou plutôt sa motivation, il la puise au travers de ses rêvasseries qui le ramènent au temps de ses permissions, dans sa famille ou avec sa gang de chums.  Il se surprend à fredonner la chanson qu'il a composé sur l'air de L'Adieu du Soldat, du Soldat Lebrun et pense instantanément à sa chère maman qui, il en est sûr, prie à chaque jour pour son retour sain et sauf.

Adieu Maman

Je vais partir, c'est la guerre.  Je serai toujours bon soldat.
Adieu ne pleurez pas ma mère.  Moi, je vous écrirai là bas.
Bien loin de vous en Angleterre, je garderai le souvenir.
Je n'oublierai pas ma prière, pour mon pays je vais mourir.

Je suis rendu sur la frontière,
Je vous écris ces quelques mots.
Je me souviens, ma bonne mère,
Lorsque vous me chantiez dodo.

J'entend le bruit de la mitraille
À quelques pas, là est l'Allemand.
Sous la fumée des champs de bataille,
Je pense à vous bonne maman.

La nuit arrive, c'est la bataille.
Soudain, je tombe, je suis frappé.
L'un dit à l'autre, eux les canailles.
Nous les vaincrons ces entêtés.

Adieu Adieu Adieu au monde,
Sous mon drapeau je vais mourir.
Je m'endors dans cette nuit sombre.
Je meurs avec mes souvenirs.

29 juillet 1944:   Soldat, prépares toi à combattre.  

     « Si on me donnais 6 heures pour abattre un arbre, j'en prendrais 4 pour effiler ma hache ».

        Dixit Abraham Lincoln.

(Extraits du journal de marche de régiments, autre que La Chaudière).

Préparation pour l'embarquement.

Nous sommes arrivés le 25 juillet à Dorchester dans le sud de l'Angleterre, après avoir traversé l'Angleterre et reçu partout un accueil merveilleux. On s'installe dans un camp américain d'attente le B.12. Il faut qu'on parle ici de la formidable organisation américaine. À peine sommes nous arrivés que l'on nous emmène dans les tentes installées avec des lits de camp, nous recevons des couvertures autant que l'on en désire, on nous donne ensuite l'heure des repas, des douches, et du cinéma et nous n'avons plus à nous occuper de rien. La propreté règne en maître à tous points de vue. Des haut parleurs diffusent de la musique toute la journée, c'est vraiment très bien. Nous quittons Dorchester le 28 juillet pour Southampton, où nous embarquerons le 29 juillet sur un Liberty Ship pour la France.

29 juillet 1944 : L'invasion.

Les autos canons sont hissés par grue sur le pont du Liberty Ship que l'on ne remplira même pas tellement il y a de bateaux. L'impression est unique : toute la mer est couverte de bateaux remorquant chacun son petit ballon captif. Pas un avion allemand, pas un sous marin quelle impression de sécurité !

7h15: Départ en convoi des L.S.T. vers l’Est puis le Sud.

On démarre de Portland à 7h30. L'unité quille le port à 7h30 vers la France.

Traversée de la Manche, arrivée en fin d'après-midi en vue des côtes de France. Nous sommes une quinzaine de LST, convoyés par deux chasseurs, 2 sous-marins et un tout petit bâtiment de guerre, de la taille d'une corvette, c'est tout, pas d'avions. Faut-il que l'on soit sûr de la maîtrise des airs et de la mer! Au départ, nous longeons la côte anglaise vers Southampton; on a très vite du brouillard. On est en colonne par un.

À 11h30, on fait un à droite et on pique sur Cherbourg qui apparaît à 16h.

16h00: En vue des côtes de France. Dans la brume, on distingue les côtes de Cherbourg.

La France est en vue.  On passe à un douzaine de km de Cherbourg. 

Nous allons échouer à 2 km de cette localité sur une plage avec tous les autres bâteaux du convoi.  [Tirs de] D.C.A. intenses au Sud-Est, lâché de ballons captifs sur nos transports.

À 17h30 on passe à la pointe de Barfleur; nouvel à droite et on longe les côtes à une quinzaine de km.

Un bateau au fond de l'eau nous rappelle que nous venons faire la guerre. Au loin, des bateaux sont alignés le long de la côte, j'en compte une centaine environ. Tout est calme.  Nous virons encore et nous approchons de la côte.

Nous arrivons en vue des côtes françaises le 29 au soir et nous ne débarquerons que le lendemain 30 juillet.

À 21h, nous naviguons entre les bateaux ancrés devant la plage. J'en compte alors près de 400!!! C'est inconcevable quand on ne l'a pas vu! Et c'est très certainement un spectacle que je ne reverrai plus jamais, il faut l'avoir vu pour le croire!

21h30 arrivé en vue de la presqu'île du Cotentin en face de l'Hôtel MAUGER.

À 21h30, le bateau est échoué; il nous reste à attendre que la mer se retire suffisament pour que nous puissions débarquer à pied sec: c'est l'affaire de quelques heures.

À 1000m de la côte environ, il y a toute une série de vieux bateaux coulés volontairement qui servent à faire une jetée derrière laquelle les chalands (Cargo) peuvent transporter tranquillement les chargements des gros bateaux à terre.

Les autos canons sont chargés du Liberty ship dans un L.C.T. ou "Landing Craft Transport" espèce de petit chaland à fond plat. La mer est très mauvaise et le petit bateau danse terriblement. Nous sommes pour la plupart  pâles, verts, jaunes, enfin malades comme un chien. Nous approchons de la côte et attendons la marée qui vient vers 11 h du soir. Le petit bateau approche de la plage, son avant s'ouvre et les autos canons sortent. Le débarquement est fait.

23h15: Pied à terre en profitant de la marée basse.

Clair de lune splendide. Pas un seul avion Allemand dans le ciel.

30 juillet 1944

Entre minuit et 2h00 du matin, débarquement des chars et des voitures.

Débarquement sur la plage du matériel et du personnel du LST 533 à partir de 2h. Les véhicules et le personnel font mouvement aussitôt sur St Germain de Varreville où ils stationnent en attendant le regroupement du Régiment. À 13h le LST n° 517 est déchargé sur la même plage de son matériel et personnel qui rejoignent le Régiment aussitôt.

À 22h30, l'unité fait mouvement avec le Régiment sur un point de stationnement situé entre La Haye du Puits et Lessay, commune de Vesly.

À 1h, les véhicules ont commencé à débarquer et l'unité se dirige vers le point de regroupement à St Germain. Nous y avons trouvé un certain désordre du fait que les véhicules étaient entassés n'importe comment et serrés le plus possible. Enfin le jour arrive. Nous avons la libre circulation jusqu'à 9h vers La Haye du Puits, près de l'endroit où nous devons camper. Hélas, d'autres unités ont priorité sur nous et les 1000 véhicules de la division arrivés cette nuit ne sont pas partis ce matin. Il en restera 300 parmi lesquels nous en sommes.  Les M.P. Américains nous aiguillent vers l’intérieur.

Nous partons à 13h pour La Haye du Puits, itinéraire: Ste Mère-l'Église, Pont-l'Abbé, St Sauveur, La Haye du Puits, tous ces pays sont rasés, mais malgré leur douleur, leurs épreuves, les habitants nous ont réservé un accueil enthousiaste: ils couvrent nos véhicules de fleurs: sentimental comme je suis, je suis très ému et je pleure de joie.

Campement dans les champs de Gerville, au milieu des cadavres d’Allemands et d’animaux en putréfaction.

Réseaux inextricables de fils téléphoniques. Les combats ont dû être féroces. Trous individuels innombrables. Là-dessus, un soleil ardent. Villages et fermes en ruines.

Arrivée en France.

La Campagne jusqu'à Paris.

Nous sommes rassemblés près de Sainte Mère l'Église d'où nous partons pour Vesly près de la Haye du Puits. Nous quitterons Vesly pour le front le 6 août.